René Char - Une poétique intégrale

Aphorismes et autres isthmes



Voici l’époque où le poète sent se dresser en lui une méridienne, cette méridienne force d’ascension.

Leur crime : être enragé de vouloir nous apprendre à mépriser les dieux que nous avons en nous.

Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.

Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.

Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats.

L'acte est vierge, même répété.


A chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir.

Aucun oiseau n'a le cœur de chanter dans un buisson de questions.

Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté.

Mettre en route l'intelligence sans le secours des cartes d'état-major.

Pleurer longtemps solitaire mène à quelque chose.

Mais qui rétablira autour de nous cette immensité, cette densité réellement faites pour nous, et qui, de toutes parts, non divinement, nous baignaient ?

Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ?

Vivre c'est s'obstiner à achever un souvenir. Mourir c'est devenir, mais nulle part, vivant.

L'appétit de quelques esprits a détraqué l'estomac des hommes. 
Pourquoi cette perte de noblesse entre révélation et création ?


Le réel quelques fois désaltère l'espérance. C'est pourquoi contre toute attente, l'espérance survit.

Ce dont le poète souffre le plus dans ses rapports avec le monde c'est du manque de justice interne.

Il existe une sorte d'homme toujours en avance sur ses excréments.

Tiens vis à vis des autres ce que tu t’es promis à toi seul. Là est ton contrat.

Arthur Rimbaud jaillit en 1871 d’un monde à l’agonie qui ignore son agonie et se mystifie, car il s’obstine à parer son crépuscule des teintes de l’aube de l’âge d’or.

Le monde contemporain nous a déjà retiré le dialogue, la liberté et l'espérance, les jeux et le bonheur; il s'apprête à descendre au centre même de notre vie pour éteindre le dernier foyer, celui de la Rencontre.

Viendra le temps où les nations sur la marelle de l’univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que les organes d’un même corps, solidaires en son économie. Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra-t-il encore garantir l’existence du mince ruisselet de rêve et d’évasion ? L’homme, d’un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs...


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